(Elle)
Elle déambule sur l’avenue. Une veste en jeans les jambes nues. La musique à fond dans ses oreilles elle observe les passants, les arbres, les bâtiments. Dans l’obscurité elle tente de déchiffrer les visages, imagine quelle vie se cache derrière les grimages. Elle scrute le haut des murs, se demande quelles petites bêtes peuvent bien serpenter entre les fissures. Si elle aime tant marcher c’est pour rêver. Elle fabule sur ce que sa vie aurait pu être, si elle était née dans la famille qui habite derrière ces fenêtres. Elle envisage une vie d’exploratrice ou d’écrivaine, pense aux mots qu’elle utiliserait pour décrire la ville parisienne. Parfois elle se contente d’écouter la musique qui tonne dans ses tympans, car elle lui rappelle quelques-uns de ses rires d’enfants. Si elle aime tant fuir, c’est pour se souvenir. Les rues calmes du soir lui rappellent ses balades dans les forêts provençales de sa région natale. La brise sur ses mollets lui apporte des réminiscences de plage et de galets. Et elle sourit en repensant à toutes les fois où elle a dévalé la pente d’un toboggan lorsqu’elle passe près d’un parc ou d’un jardin d’enfant. Elle marche sans but précis, si ce n’est celui d’apprécier sa propre compagnie. Et elle s’émerveille à chaque instant, profitant de ce moment hors du temps.
Il rentre d’une sale soirée. Boulot compliqué, vie amoureuse tumultueuse, il s’en va direction le bar pour noyer sa vie de cauchemar. Mais alors qu’il traverse la rue, il la vit. Jeune fille, les cheveux bruns, une jupe coupée au milieu des cuisses. La démarche souple, légère, une tenue élégante et des jambes alléchantes. Pas pressée elle semble avoir la tête dans les étoiles, et il aimerait bien la voir sur le sol. Elle se promène comme si elle était seule dans la ville. Et lui il est seul dans sa vie. Alors il décide de changer de direction, sa bière peut attendre qu’il rentre à la maison. Il la suit de loin, longe les quais de la Seine et s’arrête lorsqu’elle ralentit devant un immeuble en déclin. Comme un chasseur qui traque sa proie, il ne la quitte pas des yeux, en traversant les faubourgs, les jardins, les parkings. Puis lorsqu’elle tourne dans une petite rue il ose enfin accélérer, il calcule : une échoppe, une porte, elle ne peut s’échapper, c’est ici qu’il va l’aborder…