Écrire et faire lire

Soirée à deux

Lucas arriva à la soirée un peu tard. Il était impressionné par l’installation, mais il ne se sentait pas à sa place. Les groupes de garçons passaient à côté de lui en rigolant et quelques filles le montraient du doigt en chuchotant. De plus, la musique était trop forte. Il avait envie de partir, mais il voulait revoir cette fille, celle qu’il avait croisé la semaine dernière. Il ne tarda pas à l’apercevoir, qui dansait au milieu de la salle avec une autre jeune femme qu’il ne connaissait pas. Cette vision le détendit tout de suite. La musique, et même le temps, semblaient s’être arrêtés. Les doigts de l’adolescente claquaient le rythme pendant que son corps se mouvait avec élégance. À chaque déhanché, sa longue robe blanche venait se coller contre son ventre, ce qui moulait sa fine taille, avant de remonter le long de ses chevilles, laissant apparaître ses mollets pâles. Ses longs cheveux châtains volaient autour d’elle, les jeux de lumière venaient y apporter des mèches aux reflets dorés. Lucas crut à l’apparition d’un ange. Soudain, la musique diminua et le corps de la belle se stabilisa, seule sa longue jupe continua de voleter au-dessus du sol pendant un instant. Elle releva la tête et croisa les iris sombres de Lucas. Ses grands yeux bleus apparurent plus beaux que jamais sous la lumière tamisée de la tente. Elle se pencha vers son amie et lui chuchota à l’oreille, tout en gardant son regard attaché à celui du garçon. Puis, sans le quitter des yeux, elle s’avança vers lui, confiante, la jupe et les cheveux au vent. Arrivée devant le jeune homme, elle déposa un baiser sur ses doigts, avec lesquels elle lui effleura discrètement la joue. Puis d’un regard, elle lui désigna la sortie de la tente. Lucas hocha la tête, incapable d’articuler un mot ou de détourner les yeux. Ce fut elle qui rompit le lien en lui saisissant la main et en l’entrainant dehors. Les deux compagnons s’éloignèrent discrètement de la fête. Ils commencèrent par marcher lentement, puis une fois assez éloignés, ils accélérèrent, jusqu’à finir par courir au milieu des champs. Puis ils passèrent à côté la fontaine et arrivèrent enfin devant l’appartement. Lucas, essoufflé et tremblant, mit quelques instants avant de réussir à ouvrir la porte d’entrée. Alors, les deux amants montèrent les marches précipitamment, d’un pas un peu maladroit. Lucas tâtonna dans le noir jusqu’à réussir à attraper la main de sa conquête, puis il la tira un peu vers lui, lui faisant signe d’avancer plus vite.

Pendant ce temps, la fête battait son plein, les jeunes s’amusaient. Les filles chantaient à tue-tête de leurs voix aigues et les hommes grognaient quelques paroles sur un ton rauque. Tout le monde dansait, bras dessus, bras dessous, les pieds battaient le rythme sur le sol et on frappait des mains. La musique était forte, l’ambiance étouffante. Les vibrations des tambours raisonnaient à l’intérieur des cages thoraciques. Il faisait chaud, on transpirait. Des gouttes de sueur dégoulinaient le long du front des musiciens. Pourtant, ils étaient infatigables. Ils continuaient de jouer, de chanter, toujours plus fort, à peine une chanson était finie, qu’une nouvelle recommençait. Et tout le monde dansait, tout le monde chantait.

Après avoir gravi tous les étages de l’immeuble, les deux amis entrèrent enfin dans la chambre. Lucas embrassa sa compagnonne, qui frissonna, puis, l’entrainant avec elle, il se laissa tomber sur son lit.

Au même moment à l’intérieur de la tente, quelqu’un renversa son verre sur son voisin, qui poussa un cri et, sous l’euphorie de l’alcool, lui attrapa brusquement le bras. L’agressé, surpris, se tortilla afin de se libérer de sa prise, plus consterné que souffrant. Une poignée de secondes plus tard, l’homme sembla reprendre ses esprits et le relâcha rapidement. S’ensuivit quelques instants d’étonnement, lors desquels les deux hommes ne firent que se dévisager dans le blanc des yeux, étourdis et un peu saouls. Puis celui qui avait perdu son sang-froid s’excusa et après une brève accolade, les deux villageois se quittèrent sans aucune rancune, car ils en souriront en y repensant le lendemain matin au réveil.